samedi, janvier 13, 2007

Question de dignité. Compliqué soit.


"Ca fait mal jusque dans les os, de ne pas être celle qu'il te faut."
in Les jolies choses, Virgine Despentes, ed. Grasset, p.213


Je ne sais pas ce que j'ai aujourd'hui. J'ai eu envie, besoin, de relire ce livre, alors que la première fois que je l'avais lu, en 2000 ou 2001, par là, prêté par une copine qui n'est pas revenue d'Irlande, j'avais rien senti. Ou plutôt, je n'avais rien voulu savoir de ce livre, pas la capacité ni la volonté de comprendre ce que j'en avais pensé, ce qu'il m'avait fait, là où il m'avait touchée.
C'était mon premier contact, je pense, avec de la littérature vraiment trash. Premier contact avec le porno ; j'avais bien sûr lu des conneries avec des passages un peu graveleux, mais c'était plutôt sur le registre de l'érotique, jusque là, de la littérature pour dames, avec un soupçon de libertinisme. Il y avait bien eu aussi Septentrion, de Calaferte, mais c'est autre chose. Le sexe sert à quelque chose, vaut quelque chose, chez lui. Le sexe a un sens, mystique. Despentes, c'était découvrir que le sexe peut être horrible, bizarrement mon éducation catholique m'en avait plutôt donné une bonne image, finalement: le sexe c'était lié à l'amour, même si bon, faut pas brûler les étapes, hein, on s'entend. Le sexe c'était l'acmé de l'intimité, quelque chose de très précieux. Quelque chose de caché et de beau, même si ça fait toujours un peu peur, et si ça a un petit goût de défendu. Finalement, ça rajoute au plaisir.

Mais avec Les jolies choses, c'est juste un truc qui donne envie de vomir, envie d'être ailleurs, ou qui n'existe pas. C'est comme passer le savon entre les orteils après avoir marché toute la journée en sandales au mois de juillet. Quoique, même pas aussi jouissif en fait. Il n'y a pas que le sexe, qui n'existe pas. Il y a l'amour aussi, qui est laid, laid, pire que ça. L'amour-mensonge, l'amour-duperie, l'amour qu'on ne sait pas repousser ni accueillir. Finalement, si Despentes m'a touchée, et si je n'ai pas su mettre un mot sur cette émotion, ce brusque décalage qu'on sent sans savoir l'expliquer, c'est peut-être parce que justement elle raconte la même chose que les bouquins que j'avais à l'époque lus (y a tellement de livres qui se positionnent ou pour ou contre cette idée, mais quand même sur ce débat énoncé dans ces formes...), la même chose que l'éducation chrétienne, c'est-à-dire que le corps et l'individu, on a beau faire, on a du mal à les séparer. Et des gens peuvent nous bousiller rien qu'en regardant notre corps, pas de bol.
Sauf que, ce qu'il y avait de nouveau pour moi, c'est que notre corps détermine aussi l'individu, même quand l'individu n'est pour rien dans les évolutions du ressenti de celui-ci. Un corps qui te rend insupportable à toi-même. Un corps que tu hais. Il n'y a pas besoin de savoir qu'elle a été violée pour le comprendre. Ca donnerait limite envie de se foutre sur la gueule avec les gens qui ne réalisent pas qu'une femme peut avoir envie et raison de se haïr pour des regards, des privautés sexuelles prises de force d'une manière ou d'une autre. Putain les gens qui veulent pas comprendre que non, il est impossible de se contenter de l'idée que c'est l'autre, "l'agresseur" qui est le coupable. Les gens qui ne réalisent pas le dégoût de se sentir animal et piégé dans son animalité, seul derrière sa peau nue d'animal. Qui comprennent pas la dignité, peut-être.

Après, s'enfermer dans l'idée de l'opposition entre les hommes, engence de merde, et les femmes, c'est pas mon truc. Ca j'ose espérer que vous l'avez compris. Mais des fois j'ai une rage monstrueuse, la rage de me dire que je dois écraser quand un mec me traite de sale pute parce que je l'ai envoyé bouler, que je dois la fermer et serrer les dents en regardant ailleurs, parce que le mec en question fait une tête de plus que moi et le double de mon poids. Dans ces moments-là je me dis que je vais faire des pompes sérieusement, et puis ça dure cinq ou six jours.... J'ai la rage d'être une fille. J'ai la rage que des potes puissent avoir à/vouloir me défendre. La rage de me sentir impuissante. Encore avant j'étais gamine, insouciante. Je me rappelle quand je vous écrivais, pour ceux que je connaissais à cette époque, que j'agonissais d'injures en français les pauvres Chiliens qui me draguaient, et qui ne savaient pas qu'en France on ne siffle pas une fille en lui balançant un piropo. Je me rappelle, quand, encore il y a quelques mois, j'envoyais allègrement se faire foutre les mecs qui me demandaient comment tu t'appelles. Et plus ça avance, moins je m'y sens de légitimité, c'est ça le pire, j'ai peur de devenir une femme, une vraie [rire jaune]. Oh là là.

Mais Les jolies choses, c'est pas que ça. c'est aussi l'incroyable souffrance, l'incroyable solitude, qui en découle, de cette répulsion à être touchée, fut-ce pas un regard. De l'abandon, quand le seul qui vaut s'en va, quand on l'a mérité, et qu'on y est pour rien. C'est le dégoût de soi, permanent, violent, l'impossibilité à se supporter, à se laisser approcher, caresser. C'est sublime. Mais qu'est-ce que ça remue, de choses...
ps: le tableau s'appelle Madonna, d'Edvard Munch. Oui, celui qui a peint Le Cri.

1 Comments:

Blogger ubifaciunt said...

Raaaah, j'enrage, faire un vague parallèle entre Calaferte et Despentes. Franchement, où va le monde ? Gloire à toi, Louis !!!

02 octobre, 2007 13:27  

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